Comment je suis arrivée au burn-out à 25 ans
Utilise mon expérience comme garde-fou pour toi, c'est vite arrivé ...
Je suis Mathilde Dehame, et jâaide les entrepreneures Ă entreprendre sans douleur : franchir plus facilement et plus vite les caps psychologiques et les montagnes russes de lâentreprenariat !
Ce post a Ă©tĂ© Ă©crit en octobre 2023 sur mon ancien blog, je le remets Ă jour aujourdâhui.
Je fais partie du rĂ©seau Bouge ta BoĂźte quasiment depuis le dĂ©but de mon entreprise, soit Ă peu prĂšs 6 ans. Vendredi jâĂ©tais Ă Think Big Her avec plus de 1000 autres membres et jâai pu baigner dans cette Ă©nergie collective magique đ€©. Et un Ă©vĂ©nement inattendu mâa aussi replongĂ© 20 ans en arriĂšre et ⊠waouh⊠quel chemin parcouru en fait !
DĂ©jĂ en repensant au mĂȘme Think Big Her dâil y a 3 ans, jâai rĂ©alisĂ© lâampleur du changement dans ma posture dâentrepreneure ⊠Cela fait 6 ans que jâai ma boĂźte, et peut-ĂȘtre 1 oĂč je commence juste Ă avoir Ă peu prĂšs lâimpression de savoir ce que je fais !
Faire un burn-out si jeune, câest possible ?
Depuis le temps que je me dis quâil faut que jâĂ©crive lĂ -dessus, car je ne lâai jamais fait⊠et pourtant, je suis sĂ»re que câest encore dâactualitĂ©, et câest vraiment compliquĂ© Ă rĂ©sumer en 3000 caractĂšres [jusque lĂ je nâĂ©crivais que via les rĂ©seaux sociaux].
Cette expĂ©rience, câest tellement un autre mondeâŠ. Tellement loin de la reprĂ©sentation de la vie festive Ă©tudiante⊠Oui il y a des âteufsâ et celles de mĂ©decine ne sont pas les plus calmes. Jâallais Ă quelques unes. Jâessayais de mâintĂ©grer. Mais bon⊠la viande saoule, la compĂ©tition, le bizutage et cette ambiance ⊠comment dĂ©crire ça⊠dâinsĂ©curitĂ© constante en fait, dâĂȘtre sur ses gardes constamment parce que les autres paraissent toujours se dĂ©merder mieux que toi⊠ça nâa finalement pas grand intĂ©rĂȘt. A lâĂ©poque je pensais que câĂ©tait moi qui Ă©tais inadaptĂ©e. Il faut dire que lâĂ©poque du collĂšge mâavait bien bien savonnĂ© la planche aussi, les traces restent. Je me rends compte a posteriori que ce qui me paraissait ĂȘtre une faiblesse, est plutĂŽt une force : ne pas accepter de faire juste comme les autres pour faire comme les autres. Moi quand ça nâa pas de sens, je ne fais pas. Ca peut ne pas convenirâŠ
Je rĂ©alise lâampleur du chemin parcouru tout court aussi⊠à peu prĂšs il y a 20 ans, jâĂ©tais juste en plein burn-out.

Quand tu bosses non-stop 8 ans de suite, genre 98h/semaine, oui, câest possible.
Jâavais 25 ans, cela faisait 8 ans (dĂ©jĂ ) que jâĂ©tais dans les Ă©tudes, dont 4 avec un mi-temps Ă lâhĂŽpital. JâĂ©tais externe en mĂ©decine. JâĂ©tais Ă©puisĂ©e. Le matin jâĂ©tais en « stage » donc Ă lâhĂŽpital, Ă essayer dâapprendre Ă faire des diagnostics, savoir quoi prescrire, mais aussi faire secrĂ©taire, coursiĂšre⊠lâaprĂšs-midi jâĂ©tais censĂ©e ĂȘtre Ă la fois en cours, et en train de les apprendre. Dilemme rĂ©solu par une organisation collective hyperproductive : 1 binĂŽme tournant prend les notes puis les photocopie pour toute la promo, permettant aux autres de bosser. Oui parce quâaller en cours, quand ça consiste Ă juste recopier Ă 100 km/h ce qui est racontĂ© sans explication et sans questions possibles, Ă un moment, on se rend compte que ce nâest juste pas rentable. Autant mutualiser cette partie la plus inutile et consacrer son temps au rĂ©el apprentissage⊠qui se fait seul Ă son bureau en croisant les cours et les bouquins. 100% autonomie. 0 partage.
Le soir jâapprenais Ă©galement les cours. ForcĂ©ment, il y en a tellement, et tu as si peur de ne pas savoir, de ne pas avoir la bonne rĂ©ponse, faire plus tard une erreur de diagnostic ou de traitement, quand ce sera toi, Ă la barre, Ă la place de lâinterne, juste dans 1 ou 2 ans... Tu dois ingurgiter toute la mĂ©decine et en faire quelque chose de logique, qui tient la route, dans un contexte ou personne ne te fera de cadeau si tu te plantes, et surtout pas toi car il nây a pas de petite erreur⊠la vie des gens est au bout.
Et, une fois par semaine, jâavais une garde aux urgences ou au SAMU. Ca, câĂ©tait vraiment intĂ©ressant, vraiment du travail de terrain, concret, rĂ©el. Mais sans prĂ©paration aucune au cĂŽtĂ© non mĂ©dical, social, psychologique : comment ne pas ĂȘtre maladroit, accueillir une victime de violences, quelquâun qui a fait une tentative de suicide, etc.. comment gĂ©rer correctement une personne alcoolisĂ©e.. etc. Ca, câest sur le tas. Pareil pour les gestes techniques. Dans le monde infirmier, visiblement on tâapprend tout de façon trĂšs formelle. Dans le monde mĂ©dical, juste Ă cĂŽtĂ©, je crois quâon a lâair de penser que ça nâest pas la peine. Toujours la mĂȘme chose - sans que personne ne te le dise jamais, sinon ce serait trop simple : tu te dĂ©merdes. Mais sois excellent. Sinon pan pan cul cul.
Je viens de compter, dĂ©marrer Ă 8h le matin, et finir de bosser Ă minuit, ce qui Ă©tait assez systĂ©matique pour moi, moins allez, 2h pour manger, ça fait 14h / jour. 7 jours sur 7, ça fait 98h !! Je nâavais jamais fait le compte. Je pense que ça m'aurait fait peur. Ce quâil faut que tu te dises, câest que câest la norme dans ces Ă©tudes. La plupart des autres faisaient la mĂȘme chose. Quelques Ă©nergumĂšnes pouvaient sortir, aller au cinĂ©ma, faire des trucs, mais câest quâils devaient avoir des capacitĂ©s hors du commun. Comme ceux qui te font des double cursus style mĂ©decine et Normale Sup. Si, jâen ai croisĂ© un, ça existe. Et ne me demande pas non plus comment font les copains qui cumulaient un boulot en mĂȘme temps pour payer leurs Ă©tudes. Je nâen ai aucune idĂ©e. Encore moins quand câest aide-soignant de nuit (tu dors quand en fait ? vraiment ??)
Quand tu nâas aucune considĂ©ration, mĂȘme pas dâĂȘtre prĂ©sentĂ© dans le serviceâŠ
Je me sentais surtout trĂšs seule. Perdue dans cette espĂšce dâorganisation Ă©norme, sans aucune intĂ©gration jamais (on dĂ©barque comme ça dans un service, sans prĂ©sentation, avec un accueil sommaire pour expliquer ce quâon fait, oĂč sont les dossiers, et voilĂ ), salariĂ©e en CDI sans mĂȘme de contrat de travail (je nâai vu la DRH que quand je suis partie ! Je ne connaissais mĂȘme pas sa simple existence avant - je nâavais jamais travaillĂ© avant donc 0 notion de comment ça marche), sans hiĂ©rarchie claire Ă part un responsable de niveau quâon ne voyait presque pas, qui avait autant de capacitĂ©s de comprĂ©hension et de soutien que ⊠la plupart des autres chefs de services en fait, soit environ 0.
La norme dans ce systĂšme, câest de critiquer vertement tout ce qui sâĂ©carte de la bonne rĂ©ponse. Si tu fais une erreur, ce nâest pas que tu nâes pas assez formĂ©, câest que tu es mauvais. Sous-entendu quâil y en a dâautres meilleurs que toi, qui auront leur place (tu ne sais pas bien laquelle) mais pas toi. Tu dois ĂȘtre conforme. Humain par contre, câest une autre questionâŠ
Un systĂšme qui nâest mĂȘme pas capable de te dire oĂč il y a du papier quand la rĂ©serve est vide, pour imprimer puis recopier tes rĂ©sultats au lit du patient le matin (alors que câest ton job le plus important avec la mise en ordre du dossier⊠waouh⊠mĂȘme Ă ta 5e annĂ©e dâĂ©tudes). Ni pourquoi la secrĂ©taire du service X oĂč ton patient est dĂ©jĂ passĂ© refuse mordicus de te donner son dossier « parce quâils ne reviennent pas ». OĂč tu apprends quâil est vital de dormir mais que pour toi, câest secondaire. Genre tu as pas de vie, en fait. On ne reconnaĂźt mĂȘme pas le plus petit droit dâen avoir : tu as eu ton concours ? Tâas acceptĂ© dâen chier. Ta vie câest lâhosto. Equilibre vie pro vie⊠quoi ? Perso ? Câest quoi ce mot ?
Dâailleurs câest lâimpression que tu as franchement quand tu enchaĂźnes une matinĂ©e avec une garde qui dure jusquâĂ minuit, que tu reprends le lendemain matin ton service et que quand tu sors Ă midi, tu te rends compte que dans le monde extĂ©rieur, on est samedi, et que le samedi le parking est fermé⊠avec ta voiture dedans (ça mâest vraiment arrivĂ© - jâai oubliĂ©, parce que jâĂ©tais trop fatiguĂ©e). Parce quâil nây a pas de parking pour les externes, donc tu es au parking visiteur (quelle reconnaissance dĂ©jà ⊠tâas mĂȘme pas lâimpression dâappartenir Ă lâĂ©tablissement, quoi) et il aurait fallu que toi, tu prĂ©voies que comme tu vas ĂȘtre lĂ 28h de suite, dans 28h, le parking sera fermé⊠et aller te garer ailleurs⊠OĂč en fait ? A cĂŽtĂ© oĂč câest interdit et tu te prends une prune en cadeau de NoĂ«l ? Tâas vraiment que ça Ă faire. En fait en 2 jours concrĂštement tâas fait 20h de taf⊠ça fait donc 36h sur la semaine pour faire⊠un mi-temps et 1 garde !! Et sans compter, Ă©videmment, le temps dâĂ©tudes, tous les aprĂšs-midis et soirsâŠ
Tu vas ĂȘtre lĂ 28h de suite⊠Juste en relisant je me dis mais câest dingue quand mĂȘme. Ca existe oĂč ailleurs que dans ces Ă©tudes un truc pareil ?? Tu fais un 4/5e en fait en 1 jour et demi. - les gardes SAMU, câest une vraie astreinte, tu dors lĂ , oui, mais tu peux ĂȘtre rĂ©veillĂ© plusieurs fois dans la nuit : câest le but dâĂȘtre lĂ en fait.
Donc pour te représenter :
imagine une journĂ©e de 14h, bien stressante parce que nâoublie pas, tu es constamment sur tes gardes au risque de la moindre erreur que tu feras
suivie dâune nuit Ă©quivalente Ă celle de parent dâun bĂ©bĂ© de 3 mois
re-suivie dâune matinĂ©e de nouveau.
Ensuite rentre chez toi sans tâendormir au volant.
Refais cette performance, ou proche, une fois par semaine, pendant 3 ans - sans repos entre 2, hein.
Sachant que ce qui tâattend aprĂšs, câest de ne plus aller te coucher du tout ou presque, la nuit. Genre ton bĂ©bĂ© il revient en arriĂšre, câest celles du nouveau-nĂ© qui tĂšte toutes les heures.
Tu vois le niveau dâĂ©puisement ? Moi je ne comprends mĂȘme pas comment ça tient. Comment les autres tiennent. Câest pas humain.
Tu bosses dans un truc de > 1000 personnes mais tu es seul
Dans un systĂšme aussi oĂč il nây a pas de liens avec les autres⊠tu travailles Ă cĂŽtĂ© des soignants, mais tu ne les connais pas, et ils ne te connaissent pas. Ils nâont tellement aucune idĂ©e de ce que tu fais quâils vont jusquâĂ te reprocher de te plaindre de fatigue alors que eux, font des nuits. Certes.. mais des nuits de 8h⊠avec un repos entre deux. Moi, certes, je dormais, Ă lâhĂŽpital, mais je nâavais jamais aucun repos. Les 2 sont fatigantsâŠ
Mais tu Ă©tais Ă©tudiante, donc, tu as des vacances quand mĂȘme ?
Normalement les Ă©tudiants ont des vacances ? Et les salariĂ©s ont des vacances ? Alors oui, mais quand tu cumules les 2 statuts (ça existe oĂč ailleurs ?), en fait, il faut tâarranger pour faire coĂŻncider tes vacances dâĂ©tudiant avec tes vacances de salariĂ©.
Mais, bien sĂ»r, câest ce que veulent aussi les 3 ou 4 autres externes de ton service, sachant que tu ne peux pas rester quâĂ 1, pour assurer le service (enfin⊠assurer la tenue des dossiers, hein⊠du boulot de secrĂ©tariat qui aurait pu se remplacer - mais tu es une main dâoeuvre bien moins chĂšre quâune secrĂ©taire !!).
Donc, en gros, tu peux espĂ©rer avoir 2-3 semaines de vacances hors service en mĂȘme temps que les vacances dâĂ©tĂ© dâĂ©tudiant. Les autres petites vacances⊠je ne me souviens mĂȘme pas.
En fait ça faisait tellement peu de diffĂ©rence dâavoir des cours ou pas⊠de toute façon le quotidien Ă©tait le mĂȘme : bosser et encore bosser, apprendre, trouver des moyens de rĂ©sister Ă la fatigue⊠Mais je nâai jamais eu recours Ă des substances addictives⊠jâen avais beaucoup trop peur. Jâai juste essayĂ©, un jour, un cocktail classique : coca cafĂ© guronsan. Ca mâa suffi : je nâarrivais pas plus Ă apprendre parce que jâĂ©tais toujours extĂ©nuĂ©e, et je ne pouvais pas non plus dormir Ă cause des excitants ! Une soirĂ©e de perdue totalement inutile.
Et donc, ces 2-3 semaines de vacances, lâĂ©tĂ©, auraient pu ĂȘtre rĂ©elles, si jâavais pu vraiment couper et arrĂȘter de travailler les cours. Mais⊠comme je suis incapable de retenir un truc que je ne comprends pas, tous les sujets de cours devaient ĂȘtre convertis en fiches de synthĂšse, travail de croisement que je faisais, comme la plupart des autres, Ă partir des bouquins dâinternat ou des revues mĂ©dicales. CâĂ©tait un boulot de titan Ă chaque question, et malgrĂ© toute ma bonne volontĂ©, je ne pouvais jamais tout faire. Donc, pour les matiĂšres oĂč jâavais pu faire le tour, jâavais de bonnes notes, et pour les autres, câĂ©tait calamiteux. Tout, ou rien. Donc⊠il fallait les repasser aux examens de septembre⊠et donc⊠exit les vacances dâĂ©tĂ©.
AprĂšs plusieurs annĂ©es de ce rĂ©gime, bosser 14h par jour 7 jours/7, sans espoir que ce soit mieux aprĂšs, au contraire - quand jâai entendu des internes discuter en rigolant de leurs 3 Ă 5h de sommeil de leur derniĂšre nuit de garde, et que ça allait (peut-ĂȘtre bien une rationalisation secondaire⊠) jâai commencĂ© Ă comprendre que cela allait ĂȘtre compliquĂ©.
Mais pas de lĂ Ă remettre en question le systĂšmeâŠ
Je me remettais en question, moi. Toujours.
Le début du burn-out
Jâai aussi commencĂ© Ă attraper tout ce qui traĂźnait. La varicelle, ensuite, une pyĂ©lonĂ©phrite (suite Ă la seule fois oĂč jâai Ă©tĂ© faire pipi dans les WC du service, je ne saurai jamais si câĂ©tait ça, mais dâhabitude je nâavais pas le temps), une mononuclĂ©ose, et pour finir, une carence en magnĂ©sium telle que je ne pouvais plus dormir profondĂ©ment. En cause : le stress, qui mange les rĂ©serves de magnĂ©sium Ă force. Ca sâest rĂ©tabli avec des intraveineuses de magnĂ©siumâŠ
Avec le temps, et le stress, je ne retenais plus rien, et jâai fini par ne plus pouvoir juste ouvrir un bouquin sans stresser dâavance, parce que je savais que plus rien nâallait rentrer. Jâai aussi commencĂ© Ă avoir des migraines. La premiĂšre mâa prise par surprise un matin, incomprĂ©hensible, tellement forte quâelle mâempĂȘchait de parler (chaque mot prononcĂ© sâensuivait dâun grand coup de marteau dans le crĂąne) et donc dâexpliquer ce qui se passaitâŠ
Sur la fin, quand je partais de garde au petit matin (si câĂ©tait le week-end), je mâendormais au volant si le feu passait au rouge. Juste attendre 2 minutes, câest trop long, pof, dodo. Un jour on mâa demandĂ© dâattendre Ă cĂŽtĂ© du tĂ©lĂ©phone, quâil sonne (je ne sais plus pourquoi⊠je me dis maintenant, quelle pouvait ĂȘtre la logique de me demander çaâŠ). Bref, bien Ă©videmment, je me suis endormie. MĂȘme sans le vouloir (et pourtant, de base, je ne suis pas une grosse dormeuse). Je me suis fait engueuler comme du poisson pourri, bien entendu. Quelle honte.
Si jâavais mal au dos, Ă force dâĂȘtre debout trop longtemps, et que je mâadossais au mur pour me soulager, on me faisait comprendre que ça ne se faisait pas, en me proposant de rentrer chez moi, si ça nâallait pas. Sur un ton faussement bienveillant⊠genre, tu peux avoir un problĂšme, mais pas ici. Ici tu ne peux pas tâĂ©couter. Soit tu restes (pour apprendre) soit tu rentres, mais tu montres que tu ne tiens pas le coup.
Tes besoins ne comptent pas
Parce quâil sâagissait surtout de ça. Tu es censĂ© lutter contre toi-mĂȘme, tes besoins. Comme si tu Ă©tais un robot, que tu doives coĂ»te que coĂ»te assurer le job. Certes, ça te forge une dĂ©termination de dingue, mais dans une lutte oĂč de toute maniĂšre, tu ne gagneras pas. Les autres pourtant sont lĂ , et paraissent fonctionner, avec la mĂȘme chose que toi.
Il arrive un moment oĂč tu ne comprends pas pourquoi, pour toi ça ne fonctionne pas, alors que pour les autres apparemment oui. Ca a lâair de vouloir dire que visiblement, câest toi qui nâest pas assez bonne⊠chose que de toute maniĂšre, on te dit depuis le dĂ©but (mĂȘme en ayant passĂ© cette barriĂšre des 10% choisis) : les bizuteurs, appelons-les comme ça, qui viennent te faire peur dans lâamphi en premiĂšre annĂ©e, te disent que tu es une sous-merde. Tu espĂšres donc aprĂšs, devenir potentiellement une merde, et peut-ĂȘtre par la suite, un peu mieux (on ne sait pas bien quoi).
Mais tu es toujours au plus bas de la hiĂ©rarchie, tu ne sais pas assez, tu nâas pas les rĂ©ponses, et peut-ĂȘtre que si tu travailles vraiment trĂšs dur tu vas pouvoir accĂ©der au niveau au-dessus. Donc, tout ce qui est aveu de faiblesse, câest pas possible. Le mieux, câest que quasiment personne rĂ©ellement dans le systĂšme ne te dit ça, ou que par des insinuations. Tu ressens tellement fort que tu ne comptes pour rien dans le systĂšme⊠tu es lĂ pour apprendre et les autres pour bosser, donc on veut bien peut-ĂȘtre vaguement prendre un peu de temps pour te former mais faut surtout pas exagĂ©rer et te montrer absolument Ă la hauteur. Si jâavais essayĂ© de dire « je nâai pas compris » je pense que Ă peu prĂšs la moitiĂ© des mĂ©decins que je voyais mâauraient regardĂ©e comme si jâĂ©tais un ovni. Lâautre moitiĂ© pouvait ĂȘtre bienveillante, mais on a si peu de temps de contact rĂ©el dans des moments rendant possible une vraie communication, que câĂ©tait compliquĂ© dâessayer, ou de rĂ©ussir Ă les repĂ©rer. Il faut dire que nous nâĂ©tions pas forcĂ©ment avec un encadrant identifiĂ© et prĂ©sent. Nous quĂ©mandions plutĂŽt des petits bouts de savoir prĂ©cieux Ă qui voulait bien nous en donnerâŠ. VoilĂ un systĂšme bien destructeur de confiance en soiâŠ
Donc jâadmirais les gens qui pouvaient se contenter de 5h de sommeil. Longtemps, sans aucun recul, je les enviais vraiment, parce quâils avaient plus de temps pour travailler⊠jâaurais voulu avoir des journĂ©es de 48h. Le but Ă©tait de caser un maximum de choses en un minimum de temps, bref, la productivitĂ©, mĂȘme si on ne lui donnait pas de nom. Je suis allĂ©e au maximum de ce que je pouvais rationaliser. Mais je ne supportais plus aucune contrariĂ©tĂ© ou aucune chose qui grippe mon organisation bien huilĂ©e. Et ça, ça mâest restĂ© jusquâĂ encore trĂšs rĂ©cemment : vouloir absolument ĂȘtre efficace, tout le temps. MĂȘme par la suite, malgrĂ© mon mĂ©tier dâergonome, câest assez rĂ©cemment que jâai rĂ©alisĂ© que câĂ©tait juste une rĂšgle que jâavais intĂ©grĂ©e, mais qui nâĂ©tait pas forcĂ©ment si utileâŠ
Dâautres choses me paraissaient incohĂ©rentes aussi. Je devais faire un interrogatoire efficace, lâobjectif Ă©tant dâapprendre Ă obtenir vite un diagnostic : ça se comprend, on a pas 3 heures quand la personne va mal. Mais, cela signifiait aussi faire tellement le tri dans ce que les patients disaient, quâon ne pouvait pas prendre le temps de leur parler, mĂȘme sâils en avaient besoin. Jâai toujours eu cette qualitĂ© dâĂ©coute, cela me faisait violence de devoir arrĂȘter dâĂ©couter et juste questionner lâessentiel du point de vue mĂ©dical, technique.
Je nâavais aucun recul sur la situation : ce nâĂ©tait pas seulement que je me sentais nulle, câest que jâen Ă©tais persuadĂ©e. Pas forcĂ©ment sur le terrain, parce que câĂ©tait diffĂ©rent ⊠pour certaines choses, je me rendais compte que je rĂ©ussissais des diagnostics, mais pour autant aux examens, je me plantais, alors que les autres sâen sortaient. Ce nâĂ©tait pas une vue de lâesprit, jâai redoublĂ© 3 fois ma 5e annĂ©e. Il y avait des choses que je ne comprenais pas : comment jâaurais pu par exemple, savoir quelle Ă©tait la bonne conduite Ă tenir dans une maladie, quand un bouquin disait A et lâautre disait B, surtout pas A ! Alors que jâĂ©tais seule avec ça. Sachant en mĂȘme temps, que le sujet Ă©tait Ă un niveau dâexpertise qui demande une rĂ©flexion Ă plusieurs mĂ©decins, mais que pour autant ces questions sont quand mĂȘme ce qui va dĂ©finir notre classement Ă lâexamen national classant (qui remplaçait le concours dâinternat). Donc jâĂ©tais censĂ©e savoir, en 5e annĂ©e, la bonne rĂ©ponse Ă une question qui ne faisait mĂȘme pas lâunanimitĂ© âŠ
Mes tentatives de solutionâŠ
Jâai accusĂ© ma mĂ©moire. Je suis allĂ©e consulter, selon les tests ma mĂ©moire Ă©tait excellente ! (Mais pourtant au quotidien⊠je suis toujours un poisson rouge).
Sentant quand mĂȘme que jâĂ©tais Ă bout, irritable, insupportable, une boule de nerfs, Ă©puisĂ©e, vidĂ©e, jâai aussi essayĂ© dâavoir un arrĂȘt de travail, pour reprendre des forces et repartir de plus belle ensuite. Le burn-out, Ă lâĂ©poque ça nâexistait pas, en tout cas le mot. Ma mĂ©decin traitante nâa rien compris, ne comprenant mĂȘme pas, mĂȘme en ayant traversĂ© a priori le mĂȘme parcours que moi, quel Ă©tait le problĂšme. Ce qui me renvoyait Ă nouveau Ă ma nullitĂ©, a priori, si elle ne voyait mĂȘme pas le problĂšme, ayant rĂ©ussi Ă traverser la mĂȘme chose, câest que câĂ©tait moi le problĂšme⊠Elle a donc refusĂ©.
Jâai Ă©galement tentĂ© de demander Ă notre responsable de cycle, celui avec la sensibilitĂ© digne de Dr House, en moins drĂŽle, de faire une annĂ©e sabbatique : jâavais dĂ©couvert que ça existait, je me disais que ça pouvait ĂȘtre top pour revenir en forme. En fait je pensais ne pas mâarrĂȘter, mais juste prendre de lâavance en ayant 1 an de plus pour constituer ma base de fiches ⊠(câĂ©tait un peu dingue, quand jây pense, et surtout toujours plus de la mĂȘme chose.. mais je lâaurais fait). Il a refusĂ©, ne comprenant pas lâintĂ©rĂȘt, en me donnant surtout la trĂšs dĂ©sagrĂ©able sensation quâil me prenait pour une tire-au-flanc; en regardant mes rĂ©sultats, je peux comprendre, mais ne pas se poser la question de pourquoi jâen arrive là ⊠en ayant quand mĂȘme passĂ© ce maudit concours, tu te dis pas quâil y a une erreur ? Jâai Ă©tĂ© capable de bosser pour arriver Ă ĂȘtre 66Ăšme sur 600 et ensuite, je glande ?
Jâavais 25 ans, je ne savais rien faire dâautre que la mĂ©decine, et je croyais aussi que je devais rester lĂ parce que jâavais eu ce fâŠ.. concours. Câest tellement ⊠élitiste⊠câest un honneur dâĂȘtre lĂ , sĂ©lectionnĂ©e dans les 80 sur 600 cette annĂ©e-lĂ , tu as toujours eu de bonnes notes, il nây a pas de raison, et donc, câest logique de continuer. Prise la tĂȘte dans le guidon du quotidien, je nâai jamais rĂ©interrogĂ© cette logique⊠Je ne mâen rendais pas compte, donc. CâĂ©tait normal dâĂȘtre lĂ .
Une issue que je nâaurais pas vue seule
JusquâĂ cette discussion avec le psychologue consultĂ© aprĂšs mes tests de mĂ©moire, parce que je les trouvais incohĂ©rents, qui aboutit Ă une remise en question de la suite de mon parcours (logique bien sĂ»r, vu de maintenantâŠ) et oĂč je me souviens que je lui dis « mais je ne sais rien faire dâautre » et quâil me rĂ©ponde « mais vous pouvez apprendre ! ». Câest tellement Ă©vident, bien sĂ»r, vu de lâextĂ©rieur⊠AprĂšs toutes mes tentatives pour faire avec mes insuffisantes ressources, travailler toujours plus⊠cette petite phrase toute simple mâouvrait un monde !!
Bien sĂ»r quâĂ 25 ans, je peux encore apprendre quelque chose⊠Mais Ă lâĂ©poque, du point de vue quâon nous transmettait Ă lâĂ©cole, il fallait choisir son parcours, et une fois que câĂ©tait fait, on allait jusquâĂ trouver un mĂ©tier, et puis voilĂ . Je nâavais jamais eu lâidĂ©e quâon pouvait changer en route⊠peut-ĂȘtre aussi une idĂ©e prĂ©sente dans la famille, « ne pas ĂȘtre une girouette », « savoir ce quâon veut »⊠qui finalement vous bloquait dans un chemin une fois quâil Ă©tait choisi.
Cette phrase a fait son chemin, et cette nuit-lĂ , jâai fini par me dire « mais en fait, pourquoi je suis lĂ Â ? » et⊠je nâai pas trouvĂ©. Ce nâĂ©tait pas dur, au contraire, câĂ©tait libĂ©rateur. Jâai senti un poids sâen aller⊠je ne savais pas du tout oĂč jâallais, mais mĂ©decine, câĂ©tait fini, juste lĂ Ă ce moment.
Je ne regrette pas, vraiment. Surtout quand on voit lâĂ©tat des hĂŽpitaux maintenant. Tout ça, câĂ©tait avant la T2A⊠oĂč je ne comprenais pas quâon puisse demander Ă un hĂŽpital dâĂȘtre rentable, puisque nĂ©cessairement, juste, il soigne, ça rapporte rien⊠Mais je me disais que dâautres savaient mieux que moi, Ă©videmment. Finalement, peut-ĂȘtre pas !
Par contre, quand je suis partie, jâavais vĂ©rifiĂ© avec la fac que je pouvais reprendre oĂč je mâĂ©tais arrĂȘtĂ©e, si besoin. Bon, 20 ans aprĂšs, je doute que ça soit encore possible lol et surtout je nâai plus le niveau ;) Ce fut une fin qui nâen Ă©tait pas vraiment une, car je nâai jamais eu dâentretien comme lorsquâon quitte un job : parler avec ton boss parce que tu dĂ©missionnes. Non, lĂ , tu pars, sans en discuter avec personne. Dans lâanonymat le plus total, et la totale indiffĂ©rence mais cohĂ©rence dâun systĂšme pour qui tu nâas jamais comptĂ© Ă un seul moment.
Comme je nâai jamais eu de contrat de dĂ©but, et que je ne savais pas quâhabituellement on en avait, je ne mâĂ©tonnais pas de ne pas avoir de fin. Et pourtant, finalement, si : Ă©tant donnĂ© que jâavais annoncĂ© ma dĂ©cision Ă la fac, qui Ă©tait mon seul point dâattache, mais que la fac nâa pas eu lâidĂ©e de communiquer Ă lâhĂŽpital que je quittais mes Ă©tudes, lâhĂŽpital a continuĂ© Ă me verser mon « salaire », soit en gros 150 balles. Si si. Que je nâai donc pas spĂ©cialement vu passer, Ă lâĂ©poque, on avait pas internet Ă la seconde comme maintenant, pour suivre ses comptes. On regardait son solde de temps en temps, câest tout. Jâai donc Ă©tĂ© convoquĂ©e par la DRH, parce quâau bout dâun moment (je ne sais pas vraiment comment en fait), lâhĂŽpital sâest rendu compte quâil me payait alors quâil ne fallait plus.
Jâai donc dĂ©couvert quâil y avait une DRH. Je ne connaissais rien ni Ă son rĂŽle, ni au fait quâil y ait ce style de structuration, puisquâon ne rencontrait jamais personne dâadministratif. Elle Ă©tait surprise que je ne leur aie pas signalĂ© ma dĂ©mission (mais comment jâaurais pu, puisque je ne savais pas quâelle existaitâŠ) et me disant « mais quand mĂȘme, vous Ă©tiez encore payĂ©e ». Je lui rĂ©ponds « vous savez, je nâai pas remarquĂ©, ce nâest pas avec ça que je vis, ça suffisait juste Ă me payer lâessence pour venirâŠÂ ». Je pense quâelle sâest peut-ĂȘtre rendue compte alors, Ă quel point on Ă©tait sous-payĂ©s ? Je ne saurai jamais. Avec mes connaissances par la suite, jâaurais aimĂ© pouvoir lui poser la question. En tout cas, on Ă©tait tellement peu rĂ©munĂ©rĂ©s, que mĂȘme pour la retraite, la premiĂšre annĂ©e faite ne compte que comme une demi parce que le salaire est trop bas !!
Ce quâil en reste
Je pense que câest sans doute Ă cause de cette sorte de fin, qui nâest pas vraiment une fin que je fais encore de temps Ă autre des rĂȘves oĂč je suis Ă la fois dans mon mĂ©tier actuel, et en reprise dâĂ©tudes de mĂ©decine⊠je suis encore externe, et selon les cas, je dois encore rĂ©viser pour valider des choses, ou alors non jây suis mais peu importe si je nâai pas les examensâŠ
Par contre, il me reste un sentiment mitigĂ©, bizarre, des restes de connaissances Ă moitiĂ© oubliĂ©es. Il me reste des rĂ©flexes mĂ©dicaux, des logiques, mais dont les fondements se sont effacĂ©s. Câest comme si jâavais des bouts de toit mais plus de charpente, donc dans la vie courante, toujours riche en questions de santĂ©, il me revient des choses mais connectĂ©es Ă des trous, ce qui est trĂšs dĂ©sagrĂ©able. Sur les choses qui mâont le plus marquĂ©e, ou les plus courantes, il me reste des connaissances, et visiblement la logique souvent reste bonne, mais câest trĂšs bancal et agaçant ! Ca me suffit quand mĂȘme Ă me rendre compte assez vite si une situation est grave ou pas, câest au moins ça, et ça reste utile. Mais ces espĂšces de connaissances flottantes sont dĂ©sagrĂ©ablesâŠ
Il mâa fallu des annĂ©es, par contre, pour me dĂ©barrasser de ce syndrome de lâimposteur si prĂ©sent, cette sensation dâĂȘtre nulle, jamais assez bonne.
Jâen ai aussi gardĂ© un niveau dâexigence trĂšs fort, envers moi-mĂȘme, envers les autres aussi⊠dont je nâai pas fini de me dĂ©barrasser. Ce nâest pas quâune qualitĂ© !
Mais ce qui a tout de suite changĂ©, quand jâai repris mes Ă©tudes, en psychologie, donc, câest mon exigence envers le systĂšme et la pĂ©dagogie, ce qui a fondĂ© ma logique tout Ă fait raccord avec lâergonomie dâailleurs : je me suis jurĂ©e que je ne sortirais plus dâun cours sans avoir compris, quitte Ă embĂȘter le prof avec mes questions. AprĂšs avoir Ă©tĂ© frustrĂ©e si longtemps de ne pas comprendre et devoir chercher seule, sans aide, jâai dĂ©cidĂ© que je nâĂ©tais plus la fautive, et que câĂ©tait au systĂšme de me donner les moyens pour que je mâen sorte. Pas Ă moi de faire toujours avec rien. Je nâai rien lĂąchĂ©.
Câest aussi ce que je retransmets aux personnes maintenant :
identifier les rÚgles rigides, les drivers qui les guident, et qui ne sont pas forcément utiles;
comprendre la notion de systĂšme, et que tout ne repose pas sur lâindividu, bien que la culture en place tende Ă toujours mettre la faute sur les personnes : en somme dĂ©culpabiliser, lĂącher la pression.
En faire une force pour refuser aussi que le systÚme cherche à tout vous mettre sur le dos, sans prendre sa part de responsabilité, savoir faire le tri et remettre chaque chose à sa place
Ne pas rester seul, jamais ! Et oser partager ses problĂšmes.
Quelle que soit sa situation, on a besoin des autres. Rien ne fonctionne seul, nous gagnons tant Ă partager, discuter, les Ă©changes sont dâune telle richesseâŠ
Je me suis rendue compte rĂ©cemment, Ă quel point la rencontre humaine est importante, et au centre de tout. Etre entourĂ©, rĂ©flĂ©chir ensemble, lâintelligence collective change tout. Câest surtout lâabsence de soutien social, qui mâa tant manquĂ©. Lâabsence de retour, de partage, de pouvoir ĂȘtre rassurĂ©e sur les difficultĂ©s traversĂ©esâŠ
Marie Eloy a raison, vraiment, câest ensemble quâon bouge le monde !
Et toi, as-tu déjà connu un burn-out ?
NâhĂ©site pas Ă me dire en commentaire !
Hello ! Jâai vĂ©cu une expĂ©rience similaire Ă bosser comme une folle en toute illĂ©galitĂ© (les pointeuses, câest surfait) et Ă penser
1/ que câĂ©tait normal
2/ que câĂ©tait moins le problĂšme
3/ quâen Ă©tant plus compĂ©tante, je bosserais moins
Il mâa fallut 1 ligament et un mois dâarrĂȘt pour me rendre compte du problĂšme du raisonnement, et une reprise Ă mi-temps pour ĂȘtre sure de moi et partir.
Quand je suis partie, on mâa dit que jâĂ©tais vraiment un Ă©lĂ©ment fiable et dynamique⊠alors quâon mâavait fait sentir comme une merde tout du long.
Merci pour ce beau poste qui retranscrit si bien la perversion de ce type de systĂšme !